2020 est et restera marquée par la crise Covid… Un contexte sanitaire qui ne sera pas sans conséquences sur la situation fiscale des entreprises. De leur côté, les groupes internationaux vont devoir faire face à de nouveaux défis. À l’heure où ils s’apprêtent à rendre des comptes à l’administration fiscale, l’exercice pourrait s’avérer plus complexe que d’habitude… Mais il pourrait aussi initier de nouvelles dynamiques vertueuses. Explications avec Cécile Guyot, Juriste en droit des affaires et droit fiscal chez RSM France.

 

En quoi la crise a-t-elle eu un impact sur les prix pratiqués par les groupes internationaux ?

Dans l’urgence, les entreprises ont dû réagir vite pour tenir le choc face à l’arrêt ou le ralentissement forcé de leurs activités. Les conséquences ont différé d’un secteur d’activité et d’un pays à l’autre mais globalement, les groupes internationaux n’ont eu d’autre choix que de trouver des solutions de court terme en accord avec la situation économique, sociale, légale et financière propre à chaque pays. Cela s’est manifesté, entre autres, par une modification des prix de transfert (prix pratiqués entre entités du même groupe présentes dans plusieurs États), mais aussi des fonctions et des transferts de risques dans les groupes… Or, il faudra bientôt tirer le bilan des décisions prises ces derniers mois et aborder l’avenir malgré un contexte toujours incertain. C’est à cette occasion que l’impact de la crise sera véritablement visible.

Quelles conséquences le contexte a-t-il eu sur les prix de transfert ?

Dans l’urgence, les entreprises internationales ont dû s’adapter pour faire face au ralentissement économique en s’appuyant très fortement sur les mesures locales de soutien en matière sociale, comme par exemple le dispositif d’activité partielle en France, le recours massif au télétravail et les dispositifs d’aides financières et fiscales mis en place. Ainsi, de nombreuses politiques de prix de transfert ont été modifiées au pied levé, sans possible projection sur le long terme…Ce sont des décisions qui se prennent habituellement hors contexte de crise, après concertation et réflexion.

Comment l'administration fiscale française se positionne-t-elle sur ce sujet ?

 En France, l’administration fiscale applique en grande partie les directives émanant de l’OCDE qu’elle retranscrit rapidement en droit interne. Les entreprises doivent refléter dans leurs bases taxables déclarées pour chaque juridiction leur activité réelle sur le territoire.

Il est certain que l’administration fiscale prendra en compte le contexte Covid pour ses contrôles sur l’année 2020. Malgré tout, l’enjeu restera pour les entreprises de justifier ou de documenter avec précision l’impact de la crise sur leurs activités internationales, et ce alors que l’administration contrôlera a posteriori les choix faits à chaud.

En temps normal les prix pratiqués dans un groupe international doivent être comparés avec ceux pratiqués entre entreprises indépendantes exerçant une activité comparable, avec des fonctions et des risques similaires. Or, pour 2020, la tâche s’annonce véritablement ardue puisqu’il n’existera pas de véritables données de comparaison. La dernière crise économique en date remontant à 2008, les données et le référentiel sont trop datés. L’exercice sera donc plus complexe que les années précédentes.

Dans quelle mesure la crise est une occasion pour les entreprises de mener des réflexions intragroupes ?

 On peut tout à fait considérer cette période comme une opportunité inédite d’interroger la philosophie de ces groupes. Dans l’idéal, les entreprises y verront l’occasion d’amorcer un gros travail de repositionnement stratégique sur le long terme. L’objectif sera pour elles d’être capables d’anticiper et de réagir sereinement aux contextes de crise : repenser les politiques de prix de transfert, anticiper les risques, trouver des solutions pérennes pour regrouper et protéger leurs actifs, repenser les fonctions clé etc. À l’échelle des états, on peut aussi espérer que la situation prenne un tournant positif, en permettant d’accélérer la mise en place d’accords permettant de lutter contre l’érosion fiscale dans des domaines tels que l’économie numérique.

Tribune publiée sur Objectif ETI.