Droit de timbre d’émission et réserves issues d'apports de capital - arrêt du 29 novembre 2021 (A-5073/2020)
Août 2022
Conformément à la Loi fédérale sur les droits de timbre (ci-après : « LT »), il existe un impôt, le droit de timbre d’émission (ci-après : « DTE »), perçu sur l’émission de participations suisses. Le DTE a également pour objet, outre la création de droit de participations au sens strict du terme, les versements supplémentaires que le(s) détenteur(s) direct(s) desdits droits de participations font à la société sans contre-prestation correspondante et sans que soit augmenté le capital social (comme c’est souvent le cas en cas d’assainissement). L’exemple type en cas d’assainissement est l’abandon partiel ou total de créances détenues par le détenteur des parts contre la société. Le DTE est de 1% sur la valeur vénale apportée à la société.
Il est néanmoins possible de bénéficier d’une exonération du DTE au sens de l’art. 6, al. 1, let. k LT en présence de :
- Mesure d’assainissement
- Suppression des pertes existantes
- Prestations des actionnaires ou des associés ne dépassent pas 10 millions de francs au total
A noter qu’en cas de dépassement de la franchise de 10 millions de francs susmentionnée, il existe encore la possibilité de requérir une remise du DTE si le prélèvement du DTE devait avoir des conséquences manifestement rigoureuses. Toutefois, cette remise est sujette à de strictes conditions cumulatives afin d’en bénéficier. A cet effet, nous vous recommandons vivement de procéder à une analyse détaillée d’une application potentielle de l’art. 12 LT.
Il est important de noter que la condition de suppression des pertes existantes pour permettre de bénéficier de l’exonération des DTE entre en conflit avec le principe fiscal de l’apport en capital. En effet, selon ce principe, les apports en capitaux et versements supplémentaires effectués par les actionnaires d’une société devraient pouvoir être remboursés en franchise d'impôt au(x) détenteur(s) de parts (à comprendre : impôt sur le revenu pour des personnes physiques, resp. l’impôt anticipé de 35%). Le principe de l’apport en capital s’applique pour les versements supplémentaires sous réserve d’avoir été au préalable annoncé à l’Administration fiscale des contributions (ci-après « AFC »), selon les formes et démarches à respecter, notamment le formulaire 170 et la comptabilisation distincte au bilan. Dès lors, si ces conditions sont respectées, cela permet de bénéficier lors du remboursement desdits apports aux actionnaires d’une exonération fiscale, concernant donc l’impôt anticipé et l’impôt sur le revenu (au niveau de l’actionnaire).
Toutefois, la condition indiquée à l’art. 6, al. 1, let. k LT relative à la suppression des pertes au bilan lors d’un assainissement impliquait un arbitrage à faire par la société, resp. les détenteurs de droits de participations. Ces derniers devaient choisir entre :
- L’exonération du DTE au sens de l’art. 6, al. 1, let. k ou art. 12 LT – laquelle requiert une compensation des pertes au bilan par l’apport effectué ;
- Le remboursement en franchise d’impôt (impôt anticipé et impôts directs) en cas de distributions aux actionnaires par la comptabilisation de réserves issues d'apports de capital au sens de l’art. 20, al. 3 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct et l’art. 5 al. 1bis de la Loi fédérale sur l’impôt anticipé.
En effet, si l’apport effectué dans la société est utilisé pour compenser comptablement des pertes existantes, afin de bénéficier de l’exonération du DTE, ledit apport ne peut donc plus être comptabilisé distinctement dans les fonds propres du bilan dans les réserves issues d’apport en capital. De cette manière, l’actionnaire perd alors son droit au remboursement de l’apport en franchise d’impôt en cas de distribution de dividende dans le futur.
Selon l’arrêt du 29 novembre 2021 (A-5073/2020), le Tribunal administratif fédéral a jugé que pour bénéficier de la franchise du DTE de 10 millions de francs ou de la remise en cas d’assainissement, les sociétés suisses n'étaient pas tenues de compenser les pertes dans leur bilan comptable. De cette manière, le fait que l'apport en capital soit considéré comme exonéré du DTE n’a aucune conséquence sur la possibilité de bénéficier également d’un remboursement de l'apport en capital en franchise d’impôt (anticipe et revenu). Il a ainsi été déterminé par cet arrêt que l’élimination des pertes au bilan commercial n’était plus une condition afin de bénéficier de la franchise du DTE. Il est donc désormais possible selon cette jurisprudence de revendiquer à la fois l’exonération du DTE et aussi l’exonération de l’IA en cas de remboursement de cet apport, sous réserve du respect des conditions de forme y relatives.
Il ressort ainsi de cet arrêt qu’il n’est plus nécessaire de mettre en balance, lors d’un assainissement, les avantages du principe de l’apport en capital (par la comptabilisation de réserves issues d'apports de capital) avec la franchise du DTE, dès lors qu’il est possible de bénéficier des deux sans avoir recours à la compensation des pertes au bilan par le versement supplémentaire effectué par un détenteur direct des participations.
Cependant, il est important de noter que l’AFC a fait recours contre le présent arrêt au Tribunal Fédéral (ci-après : « TF »). En effet, les pertes fiscales liées à l’exonération des DTE et IA en lien avec de telles mesures d’assainissement a contraint l’AFC à agir contre cette récente jurisprudence, en décidant par la même occasion de maintenir le statu quo jusqu’à la décision finale du TF. Ainsi, une demande d’exonération de franchise du DTE (formulaire 4) devrait ne pas être considérée par l’AFC dans le cas où celle-ci devait également être accompagnée d’une demande de reconnaissance de réserves issues d’apport en capital (formulaire 170).
Dans le cas où cet arrêt devait être confirmé par le TF, cela sonnerait la fin de l’arbitrage fiscal lors de l’assainissement d’une société. A notre sens, ceci serait une excellente nouvelle, le fait est que lors d’un assainissement, le(s) détenteur(s) direct(s) de droits de participation effectue(nt) un apport, afin de permettre de pérenniser les activités de la société. Le fait de bénéficier d’une franchise du DTE est une incitation fiscale qui ne devrait pas aller à l’encontre du principe de l’apport en capital, ancré dans la loi depuis de nombreuses années désormais. Il est dès lors cohérent qu’un détenteur de parts puisse bénéficier d’un remboursement en franchise d’impôt des efforts consentis lorsque la situation financière de la société était dans le rouge. Il sera par conséquent particulièrement intéressant de suivre la décision du TF à ce sujet.