La Commission européenne a lancé en 2023, deux consultations sur le règlement Sustainable Financial Disclosure Regulation (SFDR)
L'objectif était d'évaluer son efficacité et recueillir les avis des différents acteurs en vue d'une possible révision
De nouvelles pistes sont envisagées pour répondre aux défis de la SFDR: nouvelles catégories de produits financiers, élargissement des définitions des articles 8 et 9 (inclusion de critères plus détaillés)...

Deux ans après son introduction en 2021 sous l’impulsion du plan pour la finance durable du Pacte Vert de l'UE, la Commission européenne a lancé deux consultations durant l’année 2023 sur le règlement SFDR, Sustainable Finance Disclosure Regulation, afin d’évaluer son efficacité et recueillir l’avis des différents acteurs en vue d’une possible révision de la réglementation.

Pour rappel, ce règlement soumet les acteurs des marchés financiers à des obligations de transparence sur la manière dont les produits commercialisés prennent en compte les questions ESG (Environnementales, Sociales et de Gouvernance). L’objectif poursuivi par le régulateur est de réorienter les flux financiers vers des activités plus durables, tout en réduisant les risques de durabilité du secteur financier. Toutefois, le règlement a été critiqué pour certaines imprécisions qui ont amené méfiance et accusations de greenwashing, notamment en ce qui concerne la définition d'investissements « durables » et la distinction entre les fonds catégorisés articles 8 ou 9.

Dans ce contexte, la Commission européenne a initié deux consultations :

  • La première sur le niveau 1, qui définit les objectifs et principes généraux de la réglementation ;
  • La seconde sur le niveau 2, qui détaille les normes techniques et procédures pour leur mise en œuvre pratique du règlement SFDR dans le but d’identifier les difficultés rencontrées par les acteurs mais également de recueillir des avis sur les solutions proposées par la Commission. 

Les résultats sur la consultation de niveau 1 publiés en février 2024 montrent une participation de plus de 300 acteurs, dont 47% sont directement concernés par le règlement (acteurs des marchés financiers et conseillers financiers tels que définis dans le règlement SFDR), soulignant l'engagement des principales parties prenantes. D'autres contributions variées viennent des ONG, régulateurs, fournisseurs de données et du monde académique, confirmant l'intérêt étendu pour la SFDR. Ces résultats quantitatifs sont complétés par des « Position Papers » où les répondants précisent leurs réponses à la consultation de manière plus qualitative.

La consultation a abordé différents thèmes tels que les exigences actuelles de divulgation en matière de finance durable, l'interaction avec d'autres réglementations, les modifications potentielles des obligations d'information et l'introduction d'un système de classification des produits financiers.

RSM vous propose un décryptage des réponses à cette consultation et un éclairage sur les possibles évolutions de la norme à court et moyen terme.

 

I. Bilan de trois années d'application de la réglementation SFDR : succès et difficultés


Des effets bénéfiques sur les marchés financiers européens…

La SFDR a été introduite pour renforcer la transparence des informations sur la durabilité des produits financiers, un pilier essentiel dans la transition de l'UE vers une économie durable. Une grande majorité de répondants, plus de 80%, reconnaît l'importance cruciale de la SFDR dans la clarification des informations de durabilité pour les acteurs financiers. Cette réglementation soutient efficacement les objectifs des Accords de Paris grâce à un outil de reporting commun européen, considéré par beaucoup comme un élément clé pour combattre le greenwashing et éviter la fragmentation des marchés de capitaux. La banque Triodos va jusqu'à décrire la SFDR comme « la pierre angulaire de la transition vers une économie durable ».

En parallèle, la SFDR a permis une prise de conscience des investisseurs pour les sujets de durabilité au-delà de la simple atténuation du changement climatique (notamment via le concept du « Do Not Significantly Harm », ou DNSH) ainsi qu’une plus grande sensibilisation aux impacts négatifs des décisions d'investissement (pour 65% des répondants). Cette prise de conscience peut également être observée au niveau des entreprises, en conséquence des demandes de divulgation d’informations de la part des investisseurs. Selon le groupe bancaire BPCE, les enjeux ESG sont désormais quotidiens et mieux compris au sein des entreprises.

Toutefois, malgré une plus grande sensibilisation des acteurs, l'impact de la SFDR sur leurs pratiques été moins marqué que prévu. La consultation révèle en effet que seulement 40% des répondants perçoivent une réelle évolution dans les décisions d'investissement et le développement de produits financiers (question 1.5.B). Néanmoins, en ce qui concerne la levée de fonds, Mirova souligne que le système de classification des produits financiers a orienté les investisseurs vers des fonds plus durables, conformément aux objectifs initiaux de la SFDR.

 

… qui n’éclipsent pas les difficultés rencontrées par les acteurs

Malgré ces avancées, la SFDR semble peiner à atteindre ses objectifs principaux. Une large part des répondants, 72% pour la question 1.2.C, pense que la SFDR ne parvient pas à renforcer efficacement la protection des investisseurs. De plus, 52% des participants contestent son efficacité dans l'orientation des capitaux vers des investissements durables. Cette ambivalence est renforcée par la question 3.2.11 où une majorité des investisseurs professionnels remettent en question les améliorations en matière de qualité et de transparence de l'information en matière de durabilité des produits financiers.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la SFDR n'est pas sans coûts, et ceux-ci sont jugés importants par 58% des répondants, selon la question 1.4. Les positions papers de l'European Banking Federation et de la Caisse des Dépôts (CDC) soulignent que les coûts, tant financiers que de ressources humaines, pour collecter les données nécessaires dépassent souvent les bénéfices attendus.

Les défis d'interprétation de la SFDR, notamment concernant l'investissement durable et les PAI (Principal Adverse Impacts, appelées principales incidences négatives en français), demeurent un point critique, avec 82% des répondants qui considèrent le concept d'investissement durable ambigu, et environ 72% éprouvant des difficultés méthodologiques dans l'utilisation des PAI dans le cadre du DNSH. Par ailleurs, une part significative des acteurs (47%) regrette le manque d'alignement avec d'autres réglementations européennes comme la CSRD, tandis que 48% estiment que la SFDR ne facilite pas la collecte des préférences de durabilité sous les réglementations MiFID II et IDD. Divers position papers d'organisations telles que l'AMF , la Fédération Française Bancaire et l'ADEME plaident pour l'adoption d'indicateurs harmonisés avec les ESRS de la CSRD pour renforcer la cohérence réglementaire. Concernant la Taxonomie européenne, les avis sont partagés quant à son intégration effective avec la SFDR, notamment du fait de la complexité de ses critères.

 

II. Évolutions envisagées en réponse aux défis identifiés

Vers une nouvelle catégorisation des produits financiers ?

Parmi les propositions avancées par la Commission européenne, deux approches différentes ont été esquissées pour réformer la classification des produits financiers dans le cadre d'une SFDR rénovée, souvent appelée SFDR 2.0 :

  • Une première option propose de définir de nouvelles catégories de produits, distinctes des classifications actuelles des articles 8 et 9, en mettant l'accent sur les stratégies d'investissement adoptées (politiques d’exclusion, standards et référentiels de durabilité reconnus, activités en transition…). 
  • Une deuxième option envisage de préciser et d'élargir les définitions des articles 8 et 9 pour inclure des critères plus détaillés relatifs aux caractéristiques environnementales et sociales, ainsi qu'aux investissements durables et au principe de « ne pas nuire significativement ».

Les résultats de la consultation montrent une préférence pour la première option, avec 50% de réponses favorables et 28% des réponses défavorables, tandis que la deuxième option a reçu des avis plus partagés, avec 31% de réponses favorables pour 38% de défavorables.

Certains acteurs tels que Société Générale, Allianz, et Mirova soutiennent l’option 2, soulignant l'avantage de capitaliser sur les concepts déjà bien établis de la SFDR et les investissements significatifs déjà réalisés. Ces acteurs préconisent d'améliorer la réglementation existante plutôt que de repartir de zéro, cherchant ainsi un équilibre entre innovation et valorisation des acquis pour éviter de désorienter le marché.

Ces propositions de la part de la Commission européenne mettent en évidence une difficulté rencontrée par les acteurs depuis l’entrée en vigueur de la SFDR. En effet, initialement conçue comme un régime de transparence, la SFDR a très souvent été utilisée comme un système de labélisation des fonds et sociétés de gestion, malgré les clarifications apportées par la Commission européenne, notamment via la FAQ publiée en avril 2023 .

 

Introduction de produits axés sur la transition : faire du règlement SFDR un outil central pour financer la transition de l’économie européenne ?

Pour RSM, la proposition d’inclure une nouvelle catégorie de produits centrés sur le financement de la transition est un fait significatif. En effet, même si des cadres comme la Taxonomie verte et les Benchmarks alignés sur l'Accord de Paris facilitent l'identification de produits financiers réduisant les émissions de gaz à effet de serre, il manque un consensus sur les produits spécifiquement destinés à la transition. En mars 2022, la Plateforme pour la finance durable avait proposé d'élargir la Taxonomie verte pour couvrir une plus grande part d’activités et d’entreprises qui, bien que non entièrement alignées avec la Taxonomie, ont la possibilité de mettre en place des mesures pour devenir plus durables. Cependant, cette proposition de 2022 est restée lettre morte, en partie due à la crainte d'une surcharge réglementaire. L'élargissement du cadre pourrait complexifier un système déjà jugé lourd, créant une  « fatigue réglementaire » parmi les acteurs économiques.

Cette nouvelle proposition de la part de la Commission européenne dans le cadre de cette consultation sur la SFDR ouvre la voie pour compléter le dispositif réglementaire actuel avec une nouvelle pièce centrale. Sous réserve de définitions et de critères clairs, cette proposition pourrait permettre les investisseurs à engager des capitaux vers des activités soutenant la transition écologique. Associée à d'autres initiatives proposées par l’Institut de la Finance Durable (IFD), telles que la mobilisation de l'épargne et la facilitation de l'accès au crédit pour les entreprises engagées dans la transition, cette approche contribuerait efficacement à couvrir les besoins financiers de la transition écologique qui, en France, sont estimés entre 30 et 35 milliards d'euros d'après le rapport de l'IFD .

 

Rechercher les synergies entre la nouvelle catégorisation et les labels existants

Nous tenons à souligner qu'il serait inapproprié de transformer le règlement SFDR en un système de labellisation. La révision de la SFDR devrait plutôt se concentrer sur la catégorisation des produits financiers pour clarifier leurs caractéristiques de durabilité afin de permettre aux investisseurs de faire des choix éclairés. Ainsi, contrairement aux labels qui témoignent du respect d’un cahier des charges spécifique, la catégorisation de la SFDR devrait permettre une meilleure lisibilité des pratiques de durabilité des produits financiers.

Tandis que la SFDR définit des critères de transparence, les labels spécialisés prévoient des exigences en termes de politiques d’investissement et des moyens à mettre en œuvre. Ces exigences vont au-delà des normes réglementaires, comme le montre la récente révision du Label ISR en 2023. Cette troisième actualisation du cahier des charges du Label ISR a permis de faire le lien avec la conformité à la SFDR mais a aussi renforcé, par exemple, les critères d’exclusion, d’engagement et les contrôles à mettre en œuvre. Autre point de différenciation : au titre de la SFDR, la classification des produits est de la responsabilité des acteurs tandis que les labels prévoient un audit de certification par des organismes tiers.

Par conséquent, la Sustainable Finance Disclosure Regulation ne devrait pas avoir vocation à remplacer les systèmes de labellisation mais plutôt à fonctionner en complémentarité, afin de permettre aux acteurs d’adopter des approches différenciées.
En prévision des évolutions réglementaires qui n’auront lieu qu’après la formation de la nouvelle Commission européenne ainsi que la recomposition du Parlement européen suite aux élections de juin 2024, il est essentiel pour les acteurs financiers d’anticiper les implications à moyen et court terme de la SFDR.

Parmi les actions à mettre en œuvre, nous conseillons d’aligner sa politique de prise en compte des PAI sur la base des recommandations des Autorités Européennes de Surveillance (AES) qui précisent que les PAI nécessitent une approche détaillée et contextualisée. Il est crucial pour les entités de ne pas se contenter d'approches génériques mais de définir précisément les seuils de criticité et les mesures d'atténuation adaptées à leurs activités spécifiques. De plus, l'identification et l'intégration des risques en matière de durabilité doivent être renforcées par des processus robustes qui mesurent l'impact financier de ces risques, en ligne avec les premiers contrôles des régulateurs (Common Supervisory Action lancée en 2023).

À court terme, il s’agira également d’être attentif à la décision que la Commission Européenne devra prendre concernant les recommandations récentes des AES pour le niveau 2. Ces propositions prévoient des ajustements visant à simplifier les modèles des RTS (Regulatory Technical Standards, normes techniques de réglementation en français), à compléter les indicateurs PAI avec de nouveaux indicateurs sociaux et à clarifier les seuils ou critères pour démontrer le principe de "ne pas nuire significativement" (DNSH). À moyen terme, le calendrier d’évolution du niveau 1 n’étant pas arrêté, les acteurs sont invités à rester prudents dans la structuration de leurs futurs fonds.

Enfin, la SFDR, envisagée dans ce contexte évolutif, doit être considérée non seulement comme une obligation réglementaire mais également comme un levier stratégique pour intégrer les enjeux extra-financiers dans ses pratiques afin de viser une performance durable.