Société et cryptomonnaies: aspects comptables et fiscaux

A l’instar des individus, certaines sociétés ont récemment acquis des cryptomonnaies comme investissement, moyen de paiement pour leurs clients ou encore pour d’autres raisons. Nous abordons brièvement certains aspects utiles d’un point de vue comptable et fiscal dans notre article ci-dessous. En effet, RSM a pu développer en pratique une connaissance très pointues à ce sujet au fur et à mesure des derniers mois pur se positionner comme un prestataire connu et reconnu dans ce secteur très spécifique des actifs digitaux. Pour des raisons pratiques, nous utilisons régulièrement le terme « Bitcoin » ci-dessous : les différents aspects traités s’appliquant à tous les actifs digitaux (cryptomonnaies), Bitcoins ou autres.

 

1. Intérêt des entreprises quant à l’intégration du Bitcoin dans leur comptabilité et raisons d’une telle démarche

Nous observons en effet, une curiosité grandissante des entreprises pour le Bitcoin qui souhaitent de plus en plus faire partie de cette « révolution ». Cet intérêt est en général animé ou par une volonté de répondre à la demande de leur clientèle avec cette demande grandissante de paiement en cryptomonnaie, par une « conviction », une volonté de transparence qui passe par l’utilisation d’un système décentralisé ou par la recherche pure de profit et du meilleur investissement.

Globalement, les entreprises intègrent les bitcoins dans leur comptabilité :

Comme moyen de paiement 

De plus en plus de consommateurs réclament la possibilité de paiement en cryptomonnaie surtout chez les jeunes ce qui pousse les entreprises les plus innovantes à intégrer le Bitcoin comme moyen de paiement. Cette tendance est d’ailleurs plus globale et a été confirmée par l’étude réalisée par PYMNTS et BitPay aux États-Unis qui a révélé que 28% des consommateurs considèrent la crypto comme une option de paiement. Ce chiffre devient considérablement plus élevé si vous excluez les baby-boomers et les personnes âgées – près de 39 % – et sans la génération X, il monte à 42 %.

Comme investissement 

Face au succès que le Bitcoin a connu, certaines entreprises « se lancent » dans le Bitcoin comme investissement. En effet, séduites par les gains réalisés par certaines entreprises et individuels suite à leur investissement en Bitcoin depuis plusieurs années, certaines entreprises font le pari de se lancer là-dedans. Ce phénomène touche globalement trois catégories d’entreprises : des holdings personnelles ou familiales, des sociétés de gestion et family offices qui achètent des cryptos pour le compte de leurs clients, et des PME qui veulent se diversifier.

Comme moyen de financement en capital 

Certaines entreprises à la recherche de financement se retrouvent à intégrer le Bitcoin comme moyen de financement en capital. Le bitcoin est en effet un actif pouvant être apporté dans le cadre de fondation qualifiée d’une société de capitaux.

Comme partie intégrante de leur activité opérationnelle 

Au vu des opportunités offertes par le Bitcoin, de plus en plus d’entreprises se tournent vers le « business » que celui-ci offre en en faisant du Bitcoin un élément central de leur activité opérationnelle. Ainsi, de plus en plus d’entreprises de négoce, de courtage, de minage, etc. … voient le jour pour répondre aux énormes opportunités offertes par les cryptomonnaies.

2. Conséquences de l’intégration du Bitcoin dans sa comptabilité d’entreprise et règles applicables à cette intégration

L’intégration du Bitcoin, comme d’autre cryptomonnaies, dans sa comptabilité implique : 

De nouveaux aspects juridiques et réglementaires à prendre en compte 

Sous réserves d’évolution récentes, la nature juridique et réglementaire du Bitcoin en Suisse est la suivante :

  • Le bitcoin ne constitue pas un moyen de paiement ayant un cours légal, car seule la Banque nationale suisse est habilitée à émettre des moyens de paiement légaux.
  • Le bitcoin n’est pas non plus considéré comme une monnaie étrangère, car les monnaies étrangères officielles sont émises par un organisme centralisé, comme une banque centrale, et sont qualifiées dans leur pays d’origine de moyen de paiement ayant cours légal.
  • Le bitcoin ne constitue pas un bien ou un service.
  • Le bitcoin est qualifié de choses, au sens de l’art. 641 CC, en tant qu’unité d’information numérique ; les détenteurs de bitcoin disposent par conséquent d’un droit appréciable en argent sur une chose (et ce bien que le bitcoin n’ait pas de substance physique).
  • Les unités monétaires bitcoin ne constituent ni des papiers-valeurs, ni des avoirs, ni un quelconque autre droit de créance.

Une présentation et un traitement comptable en fonction de leur utilisation 

Titres (actif circulant et actif immobilisé) 

Le bitcoin, comme l’or et d’autres métaux précieux, présente une valeur négociable sans qu’il puisse être directement considéré comme un moyen de paiement ayant un cours légal ou comme une créance. Le poste comptable des titres comprend en effet, en plus des papiers-valeurs, certains droits de créance et de participation qui ne possèdent pas le caractère de papier-valeur. Ainsi l’or et d’autres métaux précieux sont habituellement présentés sous cette rubrique. Le poste des titres est donc défini de façon suffisamment ouverte pour admettre des actifs comparables au bitcoin à divers égards.

Une classification des bitcoins comme position distincte «titres» à l’intérieur de l’actif circulant ou comme partie des actifs cotés en bourse détenus à court terme est dès lors appropriée lorsqu’il existe une intention de détention à court terme et que le négoce de bitcoins ne fait pas partie de l’activité opérationnelle ordinaire de l’entreprise.

Une classification des bitcoins en tant que titres à l’intérieur des immobilisations financières est appropriée lorsqu’il existe une intention de détention à long terme.

Dans le cas d’une telle classification, les Bitcoins doivent être évalués de deux manières différentes :

  • Au coût d’acquisition/à la valeur la plus basse.
  • Au cours de marché ou à un autre prix courant observable est également possible. Dans ce cas, l’évaluation peut par exemple se baser sur l’évaluation de l’Administration fédérale des contributions (AFC), qui publie depuis le 31.12.2015 une valeur de référence pour l’impôt sur la fortune en tant que valeur moyenne de différents fournisseurs de bitcoins. Il est toutefois aussi autorisé de procéder à de propres évaluations du prix courant à partir de cours de transaction effectifs sur les plateformes de négoce pertinent pour l’entreprise à la date du bilan. Les frais de transaction doivent normalement être comptabilisés en tant que charges, au même titre que les courtages et les frais bancaires. Une inscription à l’actif comme part des coûts d’acquisition est cependant autorisée.

Stocks 

Si le négoce de bitcoins représente une partie substantielle de l’activité opérationnelle ordinaire de l’entreprise, une classification en tant que stocks peut être appropriée.

Dans ce cas, les Bitcoins peuvent être évalués de deux manières différentes (droit d’option) :

  • Sur la base du coût d’acquisition ou du prix courant (valeur vénale) si celui-ci est inférieur (art. 960c, al. 1, CO). Les coûts d’acquisition peuvent être déterminés selon une procédure usuelle, telle que la méthode FIFO (first in - first out), la méthode du coût moyen pondéré, etc… ;
  • Sur la base du prix courant observable, à condition que cette méthode d’évaluation soit appliquée pour tous les bitcoins comptabilisés en tant que stocks.

Immobilisations incorporelles 

Les immobilisations incorporelles de l’actif immobilisé comprennent des actifs identifiables non monétaires et sans substance physique. Les bitcoins destinés à être détenus à long terme remplissent en soi ces critères. De par leur nature, les bitcoins doivent cependant être considérés bien davantage comme des titres.

Les bitcoins qui sont portés au bilan en tant qu’immobilisations incorporelles peuvent être évalués de deux manières différentes (droit d’option) :

  • Sur la base du coût d’acquisition/principe de la valeur la plus basse. Étant donné que le bitcoin ne subit aucune perte de valeur due à son utilisation et au facteur temps, aucun amortissement n’a lieu d’être effectué. En revanche, les « pertes de valeur dues à d’autres facteurs » doivent être comptabilisées par le biais de corrections de valeur (art. 960a, al. 3, CO). De telles corrections de valeur doivent être effectuées aussitôt que le prix courant est inférieur au coût d’acquisition ou à la valeur comptable antérieure ;
  • Sur la base d’un prix courant observable.

Pour tous les bitcoins qui sont évalués à un prix courant observable, la constitution d’une réserve de fluctuation est possible en vertu de l’art. 960b, al. 2, CO et doit être examinée.

En dettes 

Le système de paiement bitcoin admet uniquement des postes créditeurs. Par conséquent, des « dettes en bitcoins » ne sont possibles que lorsqu’il a été convenu avec un tiers qu’une dette devra être acquittée au moyen d’un paiement en bitcoin en lieu et place d’une monnaie traditionnelle. Dans ce cas, l’inscription au bilan dépend de la nature de la dette concernée. Les bitcoins et leur valeur en monnaie traditionnelle ne sont alors déterminants que pour leur évaluation.

L’évaluation s’effectue sur la même base que pour les dettes en monnaies étrangères. Il convient en particulier d’observer le principe de prudence : d’éventuelles pertes de cours non réalisées sont à comptabiliser en tant que charges ; en revanche, les bénéfices de cours non réalisés ne doivent pas être comptabilisé dans compte de résultat.

Une adaptation de leur système et process de reporting pour faire face à sa volatilité

Suivi des plus et moins-value

En fonction des volumes impliqués et des options d’évaluations retenues, il convient aux entreprises d’adapter leur système et processus de reporting pour faire face autant à leur besoin de reporting comptable que fiscale.

Automatisation de la comptabilité des cryptos

De plus en plus d’entreprises ayant intégré pleinement le Bitcoin dans leurs opérations optent pour l’automatisation de la comptabilité des cryptos ou bien via l’utilisation de logiciels spécialisés en crypto ou par l’intégration de module « crypto » dans leur logiciel comptable dit « classique ».  Grace à cette automatisation, l’historique des transactions est facilement récupérable, les plus/ moins-values facilement calculables, les comptes au bilan facilement réévaluables.

Une adaptation de la structure des états financiers

En cas de montants importants en bitcoins, ceux-ci doivent être présentés sous un poste séparé.

La volatilité du bitcoin est telle que les valeurs comptables prises en compte à la date de référence sont tellement relativisées que seule la publication séparée peut établir la clarté requise du bilan.

Lorsque des actifs sont évalués à un prix courant observable, ces évaluations doivent être indiquées dans l’annexe. La valeur totale des actifs en bitcoins est à considérer comme partie des totaux à publier dans l’annexe pour les postes des « titres» ou «autres actifs».

Si une réserve de fluctuation au sens de l’art. 960b, al. 2, CO a été constituée, celle-ci doit être présentée séparément dans le bilan ou dans l’annexe.

Si, après la date du bilan mais avant l’approbation des comptes annuels, des corrections de valeur significatives sont nécessaires dans le nouvel exercice financier, une publication des conséquences financières devra être examinée. L’évaluation à la date du bilan doit être conforme au principe de la date critère.

3. Conséquences au niveau fiscal

L’Administration fédérale des contributions (AFC) traite le bitcoin à des fins fiscales selon le traitement comptable qui en est fait.

Ce qui signifie que l’achat ainsi que la simple détention de jetons de paiement, achetés via des plateformes, ne devraient pas générer d'impôt sur le bénéfice ou d’impôt anticipé. Les conséquences fiscales vont in fine suivre la manière dont est comptabilisé le jeton de paiement (notamment, Bitcoin). Ainsi, la base d’évaluation comptable qui sera retenue pour ce type d’actif, déterminera quand et si un produit doit être comptabilisé au compte de résultat de la société (principe de déterminance).

En d’autres termes, si la méthode du coût d’acquisition est retenue, seul un produit sera comptabilisé lors de la revente effective du Bitcoin (dans l’hypothèse où le cours du Bitcoin a augmenté depuis son acquisition). Tandis que si la méthode du cours de marché (prix courant observable), alors la plus-value sera progressivement comptabilisée dans le compte de résultat de la société. Plus-value qui sera donc imposable au taux d’impôt effectif ordinaire sur le bénéfice du canton du siège. Il est donc intéressant de souligner que dans le première solution (évaluation au coût d’acquisition), la plus-value et donc l’imposition y relative n’interviennent que lors de la vente effective du Bitcoin, alors que la plus-value peut être lissée dans le temps dans le cas de la méthode du cours de marché.

Le choix de la méthode de comptabilisation et d’évaluation des actifs digitaux est important, notamment pour le cash-flow de la société. En effet, en cas de forte augmentation de l’actif au cours d’une année, la charge d’impôt pourrait être significative alors même qu’une vente (ou rentrée d’argent) n’a pas eu lieu, dans le cas où la méthode du cours de marché aurait été retenue.

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